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Mai 1982, San Augusto




Mai 1982, mission de San Augusto, Panajachel, Guatemala

Sommes arrivés hier. De nuit. Comme des voleurs. Notre réputation nous a précédés. Je peux sentir la méfiance qui nous entoure. Nous avons brièvement été accueillis à Antigua par mes frères de Saint-Ignace. Ils semblaient pressés de nous voir repartir. Tant mieux. Je ne tenais ni à m’expliquer ni à commenter la présence de Juan à mes côtés. Pour l’heure, ce que je veux, c’est oublier le cauchemar de l’Argentine. Nous avons repris la route en Jeep vers Panajachel. La mission de San Augusto est à quelques kilomètres du village.

Sur la route du lac Atitlán, avons assisté à une scène qui en dit long sur ce qui nous attend. Une scène d’ « exemple » organisée par les soldats à l’intention des villageois. Ils avaient placé sur le bord de la route une dizaine de prisonniers, nus, ensanglantés, le visage tuméfié. Certains étaient tondus. On avait découpé leur cuir chevelu afin de le replier sur leur crâne. D’autres n’avaient plus ni oreilles ni ongles ni plantes de pieds. Des femmes avaient les seins coupés. Des traces de brûlures, de perforations marquaient leur chair. D’autres ne portaient pas de blessures mais étaient enflés comme des vessies. Je crois qu’on leur avait inoculé un poison local. Les bourreaux portaient un uniforme spécial. On les appelle ici les kaibiles, ce qui veut dire, en langue indienne, « tigres ». Ils ont expliqué aux journaliers chacune des tortures qu’ils avaient infligées. Comme des instituteurs. Ils ont prévenu que c’est ce qui attendait tous les subversivos. En conclusion, ils ont versé de l’essence sur les prisonniers et les ont incendiés. Les victimes ont paru se réveiller d’un coup, hurlant, se tordant, s’agitant dans les flammes. Sous la menace des fusils, les autres ruraux n’ont pas bougé, impuissants, ne parlant peut-être même pas espagnol...

Ce sinistre spectacle a fasciné Juan. Moi, j’ai prié. Et mesuré l’ironie de la situation. Après l’Argentine, ce pays est un nouveau cloaque de cruauté et de violence. Mais quel lieu plus adapté pour nous accueillir, moi et Juan ?

mai 1982, San Augusto

Évalué le travail à fournir ici. Immense. Mais déjà les choses s’organisent. En tant que responsable de la mission, je dois pour l’instant veiller à la gestion des projets en cours. Catéchisme. Éducation générale. Soins. Radio locale...

Côté violence, je ne suis pas dépaysé. La répression est presque pire qu’à Campo Alegre. Les soldats tirent d’abord, interrogent ensuite. Leur motivation n’est pas politique mais ethnique. Ils sont animés par un racisme sans limite à l’égard des Indiens. De la viande pour chiens : c’est leur expression.

Depuis cinq jours que je suis là, déjà une dizaine de paysans ont été enlevés ou tués dans les environs de la mission. Sans raison apparente. On retrouve leurs morceaux, découpés à la machete, au bord de la route. Je devine que beaucoup de catequistas, les bénévoles qui nous aident au dispensaire et à l’orphelinat, appartiennent aux FAR (Forces armées révolutionnaires), mais on ne me dit rien. Le seul médecin ici, un Guatémaltèque, se méfie de moi. Les Indiens me méprisent. Mon origine belge et mon passé argentin m’assimilent aux missionnaires nord-américains. Au fond, je préfère ne rien savoir. En cas d’arrestation, je ne pourrai pas parler.

Pour l’instant, Juan est calme. Je l’ai installé dans une petite chambre à côté de la mienne, au presbytère. Je le laisse se promener dans les jardins, sous la surveillance d’un travailleur social. Je l’ai présenté comme un orphelin mais tout le monde s’interroge sur les liens qui nous unissent. Enfant illégitime. Amant... Ce n’est pas grave. Rien n’est grave désormais.

Jeanne sauta des pages. Ce qu’elle cherchait, c’était, justement, des informations sur ce cauchemar. L’origine de Juan, alias Joachim... Elle feuilleta encore. Roberge énumérait ses difficultés avec les Indiens et les militaires. A la mi-juin, elle repéra une allusion à la période qui l’intéressait. Roberge se promettait d’intégrer dans ce même cahier les notes qu’il avait prises en Argentine sur le cas « Juan ». Pour l’instant, il n’avait pas le temps.

Pages suivantes. Toujours rien, ou presque, sur Juan. Roberge consignait les disparitions qui survenaient à une cadence intensive. Exécutions. Enlèvements. Tortures. Mutilations. Le jésuite n’entrait pas dans les détails. Il évoquait aussi les brutalités récurrentes des soldats à son égard. Les fouilles de l’église, du dispensaire, du presbytère...

Jeanne feuilletait toujours. Les semaines. Les mois. Des remarques sommaires sur Juan. « A bien mangé. » « Dort normalement. » « S’adapte au climat. »

En septembre, nouvelle épreuve. L’enlèvement d’une de ses catequistas. La femme, Alaide, avait été violée et torturée, puis abandonnée dans les hauteurs de la forêt. Ses plaies ouvertes s’étaient aussitôt infectées. La victime s’était mise, littéralement, à pourrir vivante. Des soldats montaient la garde afin que personne ne lui vienne en aide. De temps à autre, ils la battaient encore ou lui urinaient dans la bouche. Le calvaire avait duré plus d’une semaine. Ils avaient ensuite abandonné le corps aux zopilotes, une sorte de vautour local. Roberge avait tout essayé pour la secourir. En vain.

Enfin, en octobre 1982, Roberge prit le temps d’intégrer ses notes argentines. Jeanne dut se concentrer. On n’était plus en 1982 mais en 1981. On quittait le climat tempéré du lac Atitlán pour les fournaises du Nordeste argentin. La répression militaire faisait le joint. La seule différence était que les victimes étaient importées des quatre coins d’Argentine dans une base militaire portant le même nom que le village : Campo Alegre. Et que tout se passait derrière les remparts du camp de concentration.


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Äàòà äîáàâëåíèÿ: 2015-09-13; ïðîñìîòðîâ: 64; Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ





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