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Juin 1981




Depuis trois jours, Carlos Estevez, un éthologue de Resistencia, séjourne à l’orphelinat. C’est un spécialiste des singes hurleurs et, paradoxalement, c’est à travers ses connaissances que nous parvenons à une meilleure observation de Juan.

Ce matin, il s’est livré à un bilan tandis que nous buvions un maté. J’ai enregistré notre conversation avec le magnétophone de l’église. Je retranscris ici, mot pour mot, le passage qui concerne spécifiquement Juan...

Jeanne se frotta les paupières. 4 heures du matin. L’enquête ne cessait de repousser les limites du possible. En même temps, ces faits entraient en cohérence profonde avec les meurtres. Les indices. Le profil sauvage du tueur...

Elle se concocta un nouveau thé vert. Elle se souvenait de sa conversation avec Hélène Garaudy. La directrice de l’institut Bettelheim avait évoqué les enfants-loups. Selon elle, la plupart d’entre eux présentaient les symptômes de l’autisme, mais la question restait ouverte : la vie en forêt provoquait-elle leur pathologie ou était-ce le contraire – ces enfants avaient-ils été abandonnés parce qu’ils étaient différents ?

Jeanne but une gorgée de thé. Elle ne sentait plus le froid. Ni la fatigue. En réalité, elle ne sentait plus son corps. Elle s’installa de nouveau sur son lit et reprit le cahier de cuir. Elle ne cessait de penser aux contes où des gamins sont abandonnés dans une forêt hostile.

Juan était le héros d’un de ces contes.

Un cauchemar devenu réel...


 

— Leur nom anglais est black howler monkey. C’est la famille la plus répandue dans la forêt subtropicale du Nordeste. Les mâles sont noirs, les femelles jaunes.

— Précisément, comment vivent-ils ?

— Dans les cimes. Leur queue leur sert de cinquième membre pour passer de branche en branche. Ils ne descendent presque jamais à terre.

— Vous pensez que Juan vivait avec eux, dans les arbres ?

— Il devait avoir du mal à les suivre. En revanche, il pouvait leur rendre des services au sol. Collecter certains fruits. Surveiller les prédateurs.

— Je ne vais jamais en forêt. Pourquoi les appelle-t-on « singes hurleurs » ?

— C’est une espèce très agressive. Chaque clan dispose d’un territoire. En cas d’intrus, ils défendent cet espace en criant. C’est effrayant à entendre. Et à voir ! Quand ils hurlent, leur crinière se dilate et leur gueule s’arrondit au point de devenir un « O ». Il me semble que Juan, quand il crie, cherche à les imiter.

— Pour l’instant, c’est sa seule façon de s’exprimer...

Jeanne leva les yeux. Elle se souvenait des hurlements qui résonnaient à travers le cabinet d’Antoine Féraud. Aucun doute : les roulements de gorge de Juan/Joachim provenaient directement de la forêt des Mânes...

— Et entre eux, sont-ils agressifs ?

— Un mâle vit avec plusieurs femelles et leurs petits. Le mâle dominant n’est pas tendre avec les autres. En général, les relations dans le groupe sont dures. Pour le sexe. Pour la nourriture. Pour tout.

Jeanne se souvenait de la séance d’hypnose, chez Féraud. La forêt, elle te mord...

Comment imaginez-vous sa vie auprès des singes ?

— Une vie à la dure. En constante situation d’échec.

— Ce que je ne comprends pas, c’est que Juan est beaucoup plus gros que les singes...

— C’est une piste pour déduire le moment où il a été adopté par eux. A mon avis, il était encore petit. Moins d’un mètre, en tout cas. Quel âge pouvait-il avoir ? Quatre, cinq ans ? Ensuite, quand il a grandi, il a dû être rejeté par le clan. Sa différence physique et sa maladresse l’excluaient naturellement.

Jeanne imaginait la vie infernale de l’enfant. Pures hallucinations sensorielles, elle percevait le bruissement des feuilles, le craquement des branches, les grognements rauques. Elle respirait la puanteur des autres... Redoutait leurs coups, leurs morsures... Elle était Juan...

— À moi de vous poser quelques questions.

— Je vous écoute.

— Quand Juan se sent observé, comment réagit-il ?

— Il devient nerveux. Il s’agite en tout sens.

— Vous tourne-t-il le dos ?

— Oui. Mais il continue à me lancer des coups d’œil.

— Attitude typique des earayás. Frappe-t-il les murs pour effrayer ceux qui s’approchent ?

— Non.

— Montre-t-il son derrière en signe de soumission ?

— La soumission est étrangère à son comportement.

— Il n’est pas obligé d’avoir intégré tous les gestes de l’espèce.

— Croyez-vous qu’il pourra réintégrer ses aptitudes cognitives ?

— Je suis éthologue. Pas psychologue.

— Juan me paraît montrer des signes d’autisme. La vie en forêt aurait-elle pu bloquer son développement mental ? Provoquer une sorte de régression ?

— Pour savoir s’il a des chances de retrouver le chemin des humains, il faudrait savoir d’où il vient. A quel âge il a quitté notre monde... Vous avez mené une enquête dans la région ?

— Pas encore.

— Je pense pour ma part à l’abandon. Juan est un enfant dont on n’a pas voulu. Un enfant qui n’a jamais été aimé.

— Pourquoi cette certitude ?

— Parce qu’un enfant choyé, nourri par ses parents, n’aurait pas survécu dans la forêt. L’endurance de Juan démontre que sa vie était déjà dure parmi les hommes. Menez votre enquête. Je suis presque sûr que vous retrouverez la trace d’un fait divers. Une histoire de violence familiale...

Jeanne arrêta sa lecture. Les lignes dansaient devant ses yeux. D’ailleurs, la transcription de l’échange était terminée. Elle regarda sa montre – une Swatch qui traînait dans son sac et qu’elle avait fixée à son poignet, en remplacement de sa Cartier.

5 heures du matin.

Elle était étonnée de n’avoir aucune nouvelle de Nicolas. Avait-il été si terrifié par leur exhumation nocturne ? Elle espérait qu’il n’était pas rentré à Antigua avec « sa » voiture... Elle se dit qu’elle allait se rafraîchir dans la salle de bains, se préparer un autre thé vert et reprendre sa lecture.

Une seconde plus tard, elle dormait profondément.


 

JEANNE se réveilla en sursaut, la tête emplie par le cri horrible d’un singe hurleur. Elle se redressa et réalisa que le grognement était la sonnerie de son portable posé à côté de sa tête.

— Allô ?

— Reischenbach. Je te réveille ?

— Oui. Non.

Elle sentait son cœur cogner dans sa poitrine. Un mouvement inversé. Tourné vers l’arrière. Comme si l’organe cherchait à s’enfoncer dans sa cage thoracique. Joachim était venu dans son rêve. Ses cris. Ses mains. Ses yeux qui voyaient dans la nuit...

— Qu’est-ce que tu veux ?

— OK, rit le flic. Je te réveille. J’ai du nouveau sur le colis Fedex. Ça t’intéresse ?

Jeanne agrippa le drap et s’essuya le visage avec. La sueur, malgré le froid. L’aube se levait. Autour d’elle, des repères familiers. Une télévision. Un fauteuil. Le bois sur les murs... Le nom espagnol pour « cauchemar » – pesadilla – vint à sa rencontre, avec sa consonance légère, pour en atténuer la force, la menace latente...

— Je t’écoute. Tu sais ce que contenait le colis ?

— Un crâne.

— Quoi ?

— Le moulage d’un crâne.

Jeanne essayait de connecter les éléments, les informations, les mots. Rien ne faisait sens.

— Dis-m’en plus.

— Je ne sais rien de plus. On a parlé avec un mec de l’institut qui a vu De Almeida emballer son truc. C’est tout. Il semblerait que l’anthropologue tenait à envoyer ce moulage à Francesca Tercia. Dans quel but, on sait pas. Cela avait l’air d’avoir un lien avec les fouilles qu’il menait dans le Nordeste argentin. Mais il n’en parlait à personne. Le seul qui pourrait nous aider est un dénommé... (Il chercha dans ses notes.) Daniel Taïeb. Le directeur du laboratoire de paléo-anthropologie, à Tucumán. Mais il prépare une exposition en ce moment et il n’est jamais là.

— Sur ce crâne, tu ne sais rien d’autre ?

Nada. Le type à qui on a parlé pense qu’il s’agissait d’un crâne d’enfant. Avec des malformations.

— Quel genre ?

— Aucune idée. J’ai rien compris. Le mec de mon groupe est brésilien et il ne parle pas très bien l’espagnol...

Jeanne pensait à Juan-Joachim. Était-ce son crâne ? Non. L’enfant était arrivé au Guatemala après l’Argentine. Était-il retourné dans le Nordeste ensuite ? Était-il mort là-bas ? Non. Joachim était toujours vivant. Joachim avait tué à Paris et à Managua.

— Donne-moi le numéro de l’institut, fit-elle.

— Je te préviens, ils sont pas...

— Je parle espagnol. Je suis dans cette histoire jusqu’au cou. File-moi le numéro !

Reischenbach s’exécuta. Jeanne nota les chiffres. Les questions bombardaient son cerveau. D’où venait, exactement, ce crâne ? Pourquoi l’avoir envoyé à Francesca ? Jeanne se souvenait que les artistes de l’atelier d’Isabelle Vioti reconstituaient des visages d’après des crânes fossiles. Francesca avait-elle utilisé la même méthode, dans son propre atelier ? Quel visage avait-elle reconstitué ? Quelle était la scène qu’elle avait représentée d’après ce vestige ?

— Tu as d’autres infos ?

— J’ai fait des recherches sur Jorge De Almeida. Difficile de piger sur quoi il bossait au juste. Il s’était marginalisé au sein de son propre labo. Il avait l’air d’être parti dans des délires...

— Quels délires ?

— Pas compris. J’ai reçu aussi son portrait photographique, comme tu me l’avais demandé.

— Tu peux me l’envoyer par mail ?

— Pas de problème. Et toi, où tu en es ?

Elle renonça à raconter. Trop d’événements. Trop d’incohérences. Trop de folie... Elle s’en sortit avec quelques formules vagues et promit de le rappeler. Reischenbach n’insista pas.

Nouveau thé. Plus aucune conscience de l’heure. Seulement ce jour gris qui se répandait dans la chambre comme les eaux d’un marigot... Elle songeait de nouveau à la maladie mise en évidence par Eduardo Manzarena. Juan avait-il été contaminé ? Ou bien était-ce le contraire ? Était-il à l’origine du mal ? Existait-il un lien avec les malformations du crâne ?

Tasse en main, elle se posta devant la porte-fenêtre. Arrêter les questions. Finir le cahier de Pierre Roberge. Et ensuite ? Elle observa les jardins de l’hôtel. Une végétation en vrac. Des bourrasques de feuilles de bananiers, de palmes arrachées... La tristesse de la pluie...

Une tristesse en appelant une autre, elle eut une certitude. Gravée pour de bon dans sa tête. Antoine Féraud était mort. Comme Eduardo Manzarena. Comme les trois victimes de Paris.

Féraud, qui avait voulu se lancer à la poursuite du père et du fils, mais qui n’avait rencontré que l’Esprit du Mal.

Elle reprit sa lecture.

Elle devait achever l’histoire de Juan-Joachim... La vérité était peut-être au bout de ces pages.


 


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Äàòà äîáàâëåíèÿ: 2015-09-13; ïðîñìîòðîâ: 64; Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!; Íàðóøåíèå àâòîðñêèõ ïðàâ





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